Au sommet de la butte Montmartre, à deux pas du Sacré-Coeur, l'église Saint-Pierre a été consacrée le 21 avril 1147 par le pape Eugène III et peut être considérée comme la plus ancienne église de Paris. Elle a été construite sur les vestiges d'une chapelle consacrée à Saint Denis, antérieure au VIè siècle. D’un style de transition entre le roman et le gothique, elle comporte quatre travées séparées par un rang de six piliers de chaque côté. A l'entrée, trois portes de bronze représentent les trois saints patrons de l'église : au centre, Saint Pierre, à droite, Notre-Dame, et à gauche, Saint Denis. On peut remarquer à l'intérieur de l'église quatre piliers de marbre, situés à l'entrée et dans le chœur, de style romain, qui proviennent sans doute d’un temple gallo-romain sur lequel la première église a probablement été construite.
Ce temple antique romain était consacré à Mars ou à Mercure selon différentes interprétations. Ainsi Montmartre oscillerait entre le dieu de la guerre, protecteur de la végétation et de l’éclosion des premiers bourgeons et le messager des dieux, qui inventa la lyre magnifiée par Apollon. Mercure est aussi, entre autres, le protecteur des voyageurs et le patron des orateurs.
Il est vrai pour Mars, qu’Henri IV entreprit le siège de Paris en 1590 depuis la butte, que les frères meuniers Debray défendirent Paris devant une colonne russe en 1814 et que l’un d’entre eux finit cloué sur leur moulin. Ils sont enterrés dans le cimetière du Calvaire qui jouxte l’église Saint Pierre. Difficile également de ne pas évoquer la prise des canons de la butte qui marque le début de la commune de Paris, justement en mars, 1871. Pour la seconde divinité, la réputation des guinguettes de Montmartre n’est plus à faire, ni celle du moulin de La Galette transformé par le fils d’un frère Debray, danseur émérite, en bal populaire. Dans le cimetière du Calvaire une colonne de marbre non loin de celle des frères Debray et d’Antoine Portal, fondateur de l’Académie de médecine, datée de 1811, signale la tombe du célèbre navigateur Louis Antoine de Bougainville, commandant de La Frégate La Boudeuse, qui aujourd’hui va remonter l’Amazone. Il n’est en revanche plus possible de voir la tombe, disparue à la révolution, de Jean-Baptiste Pigalle, sculpteur de Voltaire nu.
On en oublie cependant peut-être un peu vite l’opéra Louise de Gustave Charpentier (1860-1956), qui célèbre Montmartre et un certain cortège bachiques autour de la butte, toujours d’actualité à travers les vendanges annuelles de Montmartre. Ceci rassure sur la présence sourde et vivace d’une troisième figure divine, sans qu’il soit possible de la démêler des deux premières divinités, déjà citée par Gérard de Nerval, habitant fugace de l’allée des Brouillards à Montmartre :
« Ce qui me séduisait dans ce petit espace abrité par les grands arbres du Château des Brouillard, c’était d’abord ce reste de vignoble lié au souvenir de saint Denis, qui, au point de vue des philosophes, était peut-être le second Bacchus, et qui a eu trois corps dont l’un a été enterré à Montmartre, le second à Ratisbonne et le troisième à Corinthe. C’était ensuite le voisinage de l’abreuvoir, qui, le soir, s’anime du spectacle de chevaux et de chiens que l’on y baigne, et d’une fontaine construite dans le goût antique, où les laveuses causent et
chantent comme dans un des premiers chapitres de Werther. »
Promenades et souvenirs (paru dans L’Illustration 1954-1955).
Les traces des premiers vignobles de Montmartre remontent pour le moins à Lutèce. C’est Adelaïde de Savoie, reine de France et fondatrice et première abbesse de Montmartre en 1133, enterrée dans l’église Saint Pierre qu’elle fît construire, qui décida d'étendre le vignoble afin d'accroître la source de revenus de l'Abbaye. Le vin récolté était "clairet et moult agréable bien qu'un peu aigrelet et pétulant".
Les quatre fameuses colonnes en marbre antique de l’église de Saint Pierre sont décrites par certains comme celles d’un temple montmartrois, dédié à Bacchus celui là, situé non loin de ceux de Mars et Mercure, ou d’un culte bachique lié au temple de Mercure. Il est possible d’imaginer également comme c’était le cas à Rome un parcours antique où Bacchus était célébré sur le site de la butte en miroir du parcours actuel lors de la fête des vendanges. Dionysos, divinité grecque dont est issu le Bacchus romain, est la divinité protectrice des Beaux Arts, de la source de vie et également du lien à l'autre. Il est piquant de relever ici que le Saint Denis de la légende, né à Athènes et décrit comme disciple de Saint Paul, était initié aux mystères de Dionysos enseignés à l’école d’Eleusis…
Pascal REVAULT
Habitant de Montmartre