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Cendrillon
ou la petite pantoufle de verre
Girolamo FRESCOBALDI 1583-1643
Flûte et basse continue
Il était une fois un Gentilhomme qui épousa en secondes noces une femme, la
plus hautaine et la plus fière qu'on eût jamais vue. Elle avait deux filles de son
humeur, et qui lui ressemblaient en toutes choses. Le Mari avait de son côté une
jeune fille, mais d'une douceur et d'une bonté sans exemple ; elle tenait cela de sa
Mère, qui était la meilleure personne du monde. Les noces ne furent pas plus tôt
faites, que la Belle-mère fit éclater sa mauvaise humeur; elle ne put souffrir les
bonnes qualités de cette jeune enfant, qui rendaient ses filles encore plus
haïssables. Elle la chargea des plus viles occupations de la Maison: c'était elle qui
nettoyait la vaisselle et les montées, qui frottait la chambre de Madame, et celles
de Mesdemoiselles ses filles ; elle couchait tout au haut de la maison, dans un
grenier, sur une méchante paillasse, pendant que ses soeurs étaient dans des
chambres parquetées, où elles avaient des lits des plus à la mode, et des miroirs
où elles se voyaient depuis les pieds jusqu'à la tête. La pauvre rifle souffrait tout
avec patience, et n'osait s'en plaindre à son père qui l'aurait grondée, parce que sa
femme le gouvernait entièrement.
Lorsqu'elle avait fait son ouvrage, elle s'allait mettre au coin de la cheminée, et
s'asseoir dans les cendres, ce qui faisait qu'on l'appelait communément dans le
logis Culcendron. La cadette, qui n'était pas si malhonnête que son aînée,
l'appelait Cendrillon; cependant Cendrillon, avec ses méchants habits, ne laissait
pas d'être cent fois plus belle que ses soeurs, quoique vêtues très magnifiquement.
Anne-Danican PHILIDOR 1681-1728
Flûte et basse continue
Il arriva que le Fils du Roi donna un bal, et qu'il en pria toutes les personnes de
qualité : nos deux Demoiselles en furent aussi priées, car elles faisaient grande
figure dans le Pays. Les voilà bien aises et bien occupées à choisir les habits et les
coiffures qui leur siéraient le mieux ; nouvelle peine pour Cendrillon, car c'était
elle qui repassait le linge de ses soeurs et qui godronnait leurs manchettes. On ne
parlait que de la manière dont on s'habillerait.
-Moi, dit l'aînée, je mettrai mon habit de velours rouge et ma garniture d'Angleterre.
-Moi, dit la cadette, je n'aurai que ma jupe ordinaire; mais en récompense, je mettrai mon
manteau à fleurs d'or et ma barrière de diamants, qui n'est pas des plus indifférentes.
On envoya quérir la bonne coiffeuse, pour dresser les cornettes à deux rangs, et
on fit acheter des mouches de la bonne Faiseuse : elles appelèrent Cendrillon
pour lui demander son avis, car elle avait le goût bon. Cendrillon les conseilla le
mieux du monde, et s'offrit même à les coiffer ; ce qu'elles voulurent bien. En les
coiffant, elles lui disaient:
-Cendrillon, serais-tu bien aise d'aller au Bal ?
-Hélas, Mesdemoiselles, vous vous moquez de moi, ce n'est pas là ce qu'il me faut.
-Tu as raison, on rirait bien si on voyait un Culcendron aller au Bal.
Une autre que Cendrillon les aurait coiffées de travers ; mais elle était bonne, et
elle les coiffa parfaitement bien. Elles furent transportées de joie. On rompit plus
de douze lacets à force de les serrer pour leur rendre la taille plus menue, et elles
étaient toujours devant leur miroir.
Ponctuation flûte
Enfin l'heureux jour arriva, on partit, et Cendrillon les suivit des yeux le plus
longtemps qu'elle put ; lorsqu'elle ne les vit plus, elle se mit à pleurer. Sa
Marraine qui la vit toute en pleurs, lui demanda ce qu'elle avait. Je voudrais
bien... je voudrais bien... Elle pleurait si fort qu'elle ne put achever. Sa
Marraine, qui était Fée lui dit :
-Tu voudrais bien aller au Bal, n'est-ce pas ? Hélas oui, dit Cendrillon en soupirant.
-Hé bien, seras-tu bonne fille ? dit sa Marraine, je t'y ferai aller.
Elle la mena dans sa chambre, et lui dit :
-Va dans le jardin et apporte-moi une citrouille.
Cendrillon alla aussitôt cueillir la plus belle qu'elle put trouver, et la porta à sa
Marraine, ne pouvant deviner comment cette citrouille la pourrait faire aller au
Bal. Sa Marraine la creusa, et n'ayant laissé que l'écorce, la frappa de sa
baguette (ponctuation clavecin), et la citrouille fut aussitôt changée en un beau
carrosse tout doré. Ensuite elle alla regarder dans sa souricière, où elle trouva
six souris toutes envie; elle dit à Cendrillon de lever un peu la trappe de la
souricière, et à chaque souris qui sortait, elle lui donnait un coup de baguette
(ponctuation clavecin), et la souris était aussitôt changée en un beau cheval ; ce
qui fit un bel attelage de six chevaux, d'un beau gris de souris pommelé.
Comme elle était en peine de quoi elle ferait un Cocher :
-Je vais voir, dit Cendrillon, s'il n'y a point quelque rat dans la ratière, nous en ferons
un Cocher.
-Tu as raison, dit sa Marraine, va voir.
Cendrillon lui apporta la ratière, où il y avait trois gros rats. La Fée en prit un
d'entre les trois, à cause de sa maîtresse barbe, et l'ayant touché (ponctuation
clavecin), il fut changé en un gros Cocher, qui avait une des plus belles
moustaches qu'on ait jamais vues. Ensuite elle lui dit :
-Va dans le jardin, tu y trouveras six lézards derrière l'arrosoir, apporte les-moi.
Elle ne les eut pas plus tôt apportés que la Marraine les changea en six Laquais,
qui montèrent aussitôt derrière le carrosse avec leurs habits chamarrés, et qui
s'y tenaient attachés, comme s'ils n'eussent fait autre chose toute leur vie. La
Fée dit alors à Cendrillon :
-Hé bien, voilà de quoi aller au Bal, n'es-tu pas bien aise ?
-Oui, mais est-ce que j'irai comme cela avec mes vilains habits?
Sa Marraine ne fit que la toucher avec sa baguette (ponctuation clavecin), et en
même temps ses habits furent changés en des habits de drap d'or et d'argent
tout chamarrés de pierreries ; elle lui donna ensuite une paire de pantoufles de
verre, les plus jolies du monde. Quand elle fut ainsi parée, elle monta en
carrosse; mais sa Marraine lui recommanda sur toutes choses de ne pas passer
minuit, l'avertissant que si elle demeurait au Bal un moment davantage, son
carrosse redeviendrait citrouille, ses chevaux des souris, ses laquais des lézards,
et que ses vieux habits reprendraient leur première forme.
Charles DIEUPART ?-1740
flûte et basse continue
Elle promit à sa Marraine qu'elle ne manquerait pas de sortir du Bal avant
minuit. Elle part, ne se sentant pas de joie. Le Fils du Roi, qu'on alla avertir
qu'il venait d'arriver une grande Princesse qu'on ne connaissait point, courut la
recevoir ; il lui donna la main à la descente du carrosse, et la mena dans la salle
où était la compagnie. Il se fit alors un grand silence; on cessa de danser et les
violons ne jouèrent plus, tant on était attentif à contempler les grandes beautés
de cette inconnue. On n'entendait qu'un bruit confus: Ah, qu'elle est belle !
Le Roi même, tout vieux qu'il était, ne laissait pas de la regarder et de dire
tout bas à la Reine qu'il y avait longtemps qu'il n'avait vu une si belle et si
aimable personne. Toutes les Dames étaient attentives à considérer sa
coiffure et ses habits, pour en avoir dès le lendemain de semblables, pourvu
qu'il se trouvât des étoffes assez belles, et des ouvriers assez habiles. Le Fils
du Roi la mit à la place la plus honorable, et ensuite la prit pour la mener
danser.
Ponctuation flûte
Elle dansa avec tant de grâce, qu'on l'admira encore davantage. On apporta
une fort belle collation, dont le jeune Prince ne mangea point, tant il était
occupé à la considérer. Elle alla s'asseoir auprès de ses soeurs, et leur fit mille
honnêtetés : elle leur fit part des oranges et des citrons que le Prince lui avait
donnés, ce qui les étonna fort, car elles ne la connaissaient point. Lorsqu'elles
causaient ainsi, Cendrillon entendit sonner onze heures trois quarts : elle fit
aussitôt une grande révérence à la compagnie, et s'en alla le plus vite qu'elle
put. Dès qu'elle fut arrivée, elle alla trouver sa Marraine, et après l'avoir
remerciée, elle lui dit qu'elle souhaiterait bien aller encore le lendemain au
Bal, parce que le Fils du Roi l'en avait priée. Comme elle était occupée à
raconter à sa Marraine tout ce qui s'était passé au Bal, les deux soeurs
heurtèrent à la porte ; Cendrillon leur alla ouvrir.
-Que vous êtes longtemps à revenir ! leur dit-elle en bâillant, et se frottant les yeux, et en s'étendant comme si elle n'eût fait que de se réveiller;
Elle n'avait cependant pas eu envie de dormir depuis qu'elles s'étaient
quittées. Si tu étais venue au Bal, lui dit une de ses soeurs, tu ne t'y serais pas
ennuyée : il y est venu la plus belle Princesse la plus belle qu'on puisse jamais
voir, elle nous a fait mille civilités, elle nous a donné des oranges et des
citrons. Cendrillon ne se sentait pas de joie: elle leur demanda le nom de
cette Princesse; mais elles lui répondirent qu'on ne la connaissait pas, que le
Fils du Roi en était fort en peine, et qu'il donnerait toutes choses au monde
pour savoir qui elle était. Cendrillon sourit et leur dit :
-Elle était donc bien belle ? Mon Dieu, que vous êtes heureuses, ne pourrais-je point
la voir ? Hélas ! Mademoiselle Javotte, prêtez-moi votre habit jaune que vous
mettez tous les jours.
-Vraiment, dit Mademoiselle Javotte, je suis de cet avis, prêtez votre habit à un
vilain Culcendron comme cela: il faudrait que je fusse bien folle.
Cendrillon s'attendait bien à ce refus, et elle en fut bien aise, car elle aurait
été grandement embarrassée si sa soeur eût bien voulu lui prêter son habit.
Le lendemain les deux soeurs furent au Bal, et Cendrillon aussi, mais encore
plus parée que la première fois. Le Fils du Roi fut toujours auprès d'elle, et
ne cessa de lui conter des douceurs ; la jeune Demoiselle ne s'ennuyait point,
et oublia ce que sa Marraine lui avait recommandé, de sorte qu'elle entendit
sonner le premier coup de minuit, lorsqu'elle ne croyait pas qu'il fût encore
onze heures : elle se leva et s'enfuit aussi légèrement qu'aurait fait une biche :
le Prince la suivit, mais il ne put l'attraper ; elle laissa tomber une de ses
pantoufles de verre, que le Prince ramassa bien soigneusement.
Jean-François DANDRIEU "La follète"
Cendrillon arriva chez elle bien essoufflée, sans carrosse, sans laquais, et
avec ses méchants habits, rien ne lui étant resté de toute sa magnificence
qu'une de ses petites pantoufles, la pareille de celle qu'elle avait laissée
tomber. On demanda aux Gardes de la porte du Palais s'ils n'avaient point
vu sortir une Princesse; ils dirent qu'ils n'avaient vu sortir personne, qu'une
jeune fille fort mal vêtue, et qui avait plus l'air d'une Paysanne que d'une
Demoiselle. Quand ses deux soeurs revinrent du Bal, Cendrillon leur
demanda si elles s'étaient encore bien diverties, et si la belle Dame y avait été ;
elles lui dirent que oui, mais qu'elle s'était enfuie lorsque minuit avait sonné, et si
promptement qu'elle avait laissé tomber une de ses petites pantoufles de verre, la
plus jolie du monde ; que le Fils du Roi l'avait ramassée, et qu'il n'avait fait que
la regarder pendant tout le reste du Bal, et qu'assurément il était fort amoureux
de la belle personne à qui appartenait la petite pantoufle.
Elles dirent vrai, car peu de jours après, le Fils du Roi fit publier à son de trompe
qu'il épouserait celle dont le pied serait bien juste à la pantoufle. On commença à
l'essayer aux Princesse ensuite aux Duchesses, et à toute la Cour, mais
inutilement. On l'apporta chez les deux soeurs, qui firent tout leur possible pour
faire entrer leur pied dans la pantoufle, mais elles ne purent en venir à bout.
Cendrillon qui les regardait, et qui reconnut sa pantoufle, dit en riant : Que je
voie si elle ne me serait pas bonne, ses soeurs se mirent à rire et à se moquer
d'elle. Le Gentilhomme qui faisait l'essai de la pantoufle, ayant regardé
attentivement Cendrillon, et la trouvant fort belle, dit que cela était juste, et qu'il
avait ordre de l'essayer à toutes les filles. Il fit asseoir Cendrillon, et approchant
la pantoufle de son petit pied, il vit qu'elle y entrait sans peine, et qu'elle y était
juste comme de cire. L'étonnement des deux soeurs fut grand, mais plus grand
encore quand Cendrillon tira de sa poche l'autre petite pantoufle qu'elle mit à
son pied. Là-dessus arriva la Marraine, qui ayant donné un coup de sa baguette
(ponctuation clavecin) sur les habits de Cendrillon, les fit devenir encore plus
magnifiques que tous les autres.
Alors ses deux soeurs la reconnurent pour la belle personne qu'elles avaient vue
au Bal. Elles se jetèrent à ses pieds pour lui demander pardon de tous les
mauvais traitements qu'elles lui avaient fait souffrir. Cendrillon les releva, et leur
dit, en les embrassant, qu'elle leur pardonnait de bon coeur, et qu'elle les priait
de l'aimer bien toujours. On la mena chez le jeune Prince, parée comme elle
l'était : il la trouva encore plus belle que jamais, et peu de jours après, il l'épousa.
Cendrillon qui était aussi bonne que belle, fit loger ses deux soeurs au Palais, et
les maria dès le jour même à deux grands Seigneurs de la Cour.
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